Sous le rocher (L’histoire d’Yves)
Avant d’entrer sous la roche, des photos.
La Ville d’avant, avant la déconstruction.
Ses boutiques étroites, ses maisons serrées contre les remparts,
Un tribunal, une place de Gaulle différente,
Un Kiosque dessus, des occupants musiciens que les enfants évitent,
Un marché aux bestiaux place des alluvions, un hôpital sur la Vire.
Et puis la chute
Des bombes américaines, anglaises, canadiennes
Sur la gare, puis la falaise
Des petits papiers chassés par le vent, la veille.
Des blessés transférés sous le rocher, puis d’autres,
700 personnes sous un dôme de béton qui tremble
Alors que la ville prend feu.
Au-dessus, dans les maisons, on meurt dans la poussière des caves qui s’effritent
Dans le souterrain, on attend. On perd la vie. Une petite fille nait.
Yves a 6 ans.
Il quitte l’abri avec ses parents, sa petite sœur, sa grand-mère.
Dehors, un homme hurle, la jambe arrachée. Sa mère perd pied. Sa grand-mère reçoit un éclat d’obus. il faudra la transporter sur un brancard, sur la route. Ils rejoignent le Hutrel, où ils resteront près de deux mois. Ils iront de ferme en ferme, jusqu’à Gourfaleur, où le pont sera détruit quelques minutes après leur passage.
Son pire souvenir, c’est le sang qui a éclaboussé son propre visage quand son père a perdu son bras, alors qu’il reposait sa tête sur son épaule. Le pire souvenir.
Yves habite dans le nord de la France. Chaque année, il dépose une gerbe en souvenir de l’homme à la jambe arrachée.
Il n’avait jamais raconté son histoire jusqu’à aujourd’hui. Ni à ses enfants ni à sa femme. Il n’a visité aucun musée.
Il n’avait jamais raconté son histoire jusqu’à aujourd’hui.
Visite du souterrain, 3/02/2024