Jardin
Une corde bleu électrique retient l’arbre qui penche.
Les câbles emmêlés entourent les branches qui sur le sol forment d’énormes tas de fagots désordonnés. Des bouts de plastique rouge et blanc ponctuent la ligne noire qui pend de façon aléatoire, retenue par l’arrête du toit ou une branche désespérément tendue vers le ciel, vide désormais des cimes étêtées. Au centre du bois, il ne reste plus rien. Rien qu’un poteau de béton, auparavant dissimulé par les sequoias, les résineux, le tulipier.
Le petit promontoire s’est effondré, et les sentiers ont disparu. Je pleure le séquoia auquel est adossé le houx, indemne. Des dizaines d’années de croissance lente et obstinée sont à terre. Ses branches sont des troncs immenses. Un mélèze rachitique surplombe l’ensemble. Les animaux ne pourront plus se cacher ici. Le sol est désormais exposé à un ciel inégal, trop large pour les fougères et les hortensias.
Je couvre le sol du broyat de feuilles fendues, d’épines, de bouts de bambous déchirés par le vent. Les amas de bois découpés déforment un peu plus mon jardin confetti.
Arrimée à la maison, la glycine bourgeonne à nouveau. Le charme reviendra peut être avec le mimosa et les magnolias étoilés. Je ne peux figer le beau, dehors. Il disparait toujours, temporairement, sous les rafales et dans le bruit. Comme un beau visage sous la fatigue et la colère. Les paysages ne peuvent rien contre le vent. Ils redeviennent ce qu’ils étaient, un sol mal peigné sur lequel prendra racine tout ce qui vit.
Mes photos seront trafiquées. Les plans larges laisseront la place au minuscule, aux feuillages, aux champignons. Le cadrage s’alignera sur les troncs décapités, des pieux lancés comme des javelots. Ce sera artistique à défaut d’être réel. Comme les paysages capturés dans un panorama.
Pendant ce temps, les arbrisseaux pousseront à côté d’autres arbrisseaux et des arbres malades. Et les gens après moi, loin après, verront le petit bois boisé et dense, sous un ciel à nouveau rétréci. Le béton sera invisible et les hortensias, à l’abri du soleil, redeviendront bleus. Quelqu’un achètera la maison et son jardin. En fera son refuge. Le laissera pousser.