Le theatre de l’Acte a proposé en mai 2023 un spectacle au Musée des beaux-arts de Saint-Lo dans le cadre de la nuit des musées.

Sous la direction de Michel Legendre, les membres de la troupe ont écrit et participé à la mise en scène d’une déambulation nocturne nécessairement perturbée.

J’ai écrit un texte pour Sulki et Sulku, personnages de Musee haut Musee bas de JM Ribes que l’Acte a précédemment mis en scène au musée en 2019, a l’occasion des journées du patrimoine.

J’ai également écrit un texte pour les pique assiettes de la soirée et l’un des guides (présentation du tableau Moine en prière dans une église en ruine, exposé au Musée. )

SULKU et SULKI, Variation inspirée de Musée Haut Musée Bas, de Jean -Michel Ribes.

SULKU, en se levant, éblouie par la lumière : Dis, SULKI, qui sont ces gens?

SULKI, la suit, se racle la gorge, fort : Il semblerait, SULKU, que les musées doivent désormais être visités de nuit. C'est la tendance. On nous regarderait mieux, ou différemment...

SULKI, en se recoiffant : Je Je ne suis pas prête ! ma queue de cheval est défaite, et je n'ai pas pris la pose, je suis en pause !

SULKI : Ne panique pas SULKU. Nos visiteurs ne sont absolument pas présentables. Ils portent des pyjamas parfaitement ridicules. Certains ont cru bon de venir en chaussettes. Ce post-modernisme me laisse de marbre.

SULKU : Je n'aime pas du tout cela. D’abord il a fallu se farcir médiateurs culturels et leur descriptions hasardeuses : « voyez cette sculpture du début du 20e. Son auteur est malheureusement inconnu. La pièce s'inscrit dans la tradition CHEUNLOUG époque jaune et bleu. Notez le travail sur la chevelure et les couleurs, fortes et subtiles. L'élégance de cette œuvre en fait aujourd'hui un modèle du genre, que nous envient les musées chinois !»

Ensuite, il a fallu « être mobile » et aller, pour être populaires, d'expositions en expositions, dans des trous paumés ! Et maintenant, ça ! Être « disponible » la nuit comme le jour, pour des gens qui ne savent même pas s'habiller..

SULKI : Ce qui me gêne le plus, ce sont les lampes torches. Cela souligne toutes tes imperfections. L'œuvre d'art doit parfois garder une part de mystère..

SULKU : Cette lumière ne te flatte guère plus, SULKI. Mais il faut croire que « l'accessibilité » de l'art est à ce prix. Nous ne nous appartenons plus, nous sommes des objets que l'on peut dé-ranger, étiqueter, électrifier pour mieux nous « selfier ».

Si seulement nous étions à vendre. Un esthète chinois pourrait nous emmener chez lui, loin des regards amateurs et des téléphones à photos. Nous verrions du beau monde, nous pourrions échanger avec des œuvres confidentielles. Nous serions admirées pour ce que nous sommes, le jour, quand le soleil souligne harmonieusement nos formes, sans artifices, sans bruit....

SULKI : .. Sans nourriture ! Ne peut-on pas nous admirer sans petits fours, la bouche vide ? Je plains, SULKU, les COROT. Au moins avons-nous été épargnés de la mastication, de la déglutition, et des miettes !!!!

SULKU : La miette est à l'art ce que la fiente est à la Lamborghini.

SULKI, en observant le public et en défaisant sa queue de cheval : Ça y est, je crois qu'ils commencent à se lasser de nous SULKU, nous les endormons, et la nourriture les appelle. Nous pouvons nous dé-poser, et savourer la nuit, enfin.

SULKU : Je crois que nous avons été un peu admirés, SULKI.

SULKI, satisfait : Je le crois aussi. Les gens sont, SULKU, avant tout venus pour nous.

Moine en prière dans une église en ruine 

Mesdames et monsieur, je vous propose de nous attarder quelques instants devant ce tableau. Il s’agit d’une peinture de Charles-Marie Bouton, peintre gothique troubadour, et intitulée : Moine en prière dans une église en ruine.

Contrairement à l’impression générale qui se dégage du tableau, tout ne va pas si mal. La météo n’est pas engageante, certes, et des travaux d’étanchéité assez conséquents sont à prévoir dans les meilleurs délais pour éviter de prier mouillé. Mais, mais, si vous y regardez de plus près, vous verrez que le peintre a distillé çà et là, quelques notes d’espoir.

Vous les voyez ? …non ?  vraiment pas ?

L’église est amochée certes, mais toujours debout. Quant au froid, l’affaire peut être vite réglée. Les fagots de bois posés sur le sol permettront d’alimenter la cheminée, située à gauche du tableau. Le moine tient dans ses mains du papier (certainement la dernière gazette locale). Ne manquent que les allumettes pour embraser le grand feu qui réchauffera les âmes et les cœurs, ce même feu que l’on devine, en arrière-plan, et autour duquel doivent certainement danser les villageois.

A travers cette œuvre, le peintre nous montre que le pire n’est pas toujours sûr. Alea jacta est : rien ne sert de jacter, il faut faire avec les aléas.

Où sont les allumettes, me direz-vous ?

Avez-vous remarqué les traces de pas au sol, dans notre direction ?

Notre moine marche. Il fait des allers-retours dans le transept, comme s’il cherchait quelque chose. Ce qu’il cherche mesdames et messieurs, ce qu’il cherche ardemment au cours de ses déambulations nocturnes, dans ce qu’il reste de cette église, ce n’est ni la miséricorde, ni un fidèle paroissien caché sous les décombres, non, ce qu’il cherche, ce sont des clés, les clés qui mènent à la cellule et aux allumettes, ces clés tombées de sa chasuble dans le fracas des évènements !

Comme le dit le proverbe, Pauci sumus : on est peu de choses ou, dans une traduction moins littérale : quand on n’a pas de tête… on a des jambes.

Les pique-assiettes 

En mangeant.

Béa : c’est bon hein?

Pierre : c’est pas mauvais! 

Lydie : c’est bon, mais c’est frugal. J’imaginais quelque chose de plus copieux, moins …radin.

Pierre : c’est vrai que pour tenir la nuit entière, c’est un peu juste. Heureusement, j’ai déjà pris un en-cas tout à l’heure à l’école de dessin

Lydie : quoi ? il y avait un vernissage aujourd’hui à l’école de dessin????

Pierre : (content de lui) oui.. c’était dans la presse

Béa : et …c’était bien??

Pierre : oui. Très varié, du sucré, du salé, et un vin correct

Béa : oh, si j’avais su.. (mange un gâteau)

PAUSE

Lydie : de la tisane.. pff.. de nos jours, on ne sait plus recevoir.. 

Béa : ces petits gâteaux sont assez secs, la tisane est sans doute là pour faire couler..

Pierre : je crains que les restrictions budgétaires ne nous condamnent désormais à ce genre d’agapes minimalistes.  

Lydie (la bouche pleine) : Déjà, la dernière fois qu’on est venus, ça avait baissé. 

Béa : oui, je me souviens, on avait trouvé le cidre doux trop doux

Pierre : mais il y avait de jolis canapés et

Béa : du pâté !

Lydie : mouais…

Ils se déplacent, « attaquent » l’autre partie du buffet. Pierre prend une serviette, la déplie, y pose des gâteaux, replie la serviette et met le tout dans sa poche. Lydie sort un petit Tupperware avec étiquette « fait maison » et fait de même.

Béa : y a peut-être un autre buffet un peu plus loin?

Lydie : peut-être mais je ne prends pas de risque. « 1 tiens vaut mieux que 2 on verra »

Pierre : c’est malpoli de faire entendre son estomac quand un guide essaie de nous intéresser a l’histoire de l’art. Faut respecter.  

PAUSE

Pierre : lundi, je crois qu’il y a un goûter à la médiathèque, vers 16H je crois

Béa  : je le sais, j’y amène mes deux nièces. Et j’enchaîne juste après avec un pot de départ, avec les pompiers! 

Pierre  : pas mal !

Lydie : ce sera autre chose que de la tisane…

Pierre de lune : Vous avez remarqué ce vieillard, là-bas ?

Béa : je n’arrête pas de le voir. A chaque fois, je crois qu’il est mort. Et puis non. Il est toujours là !
Lydie : On le croise partout où il y a de la nourriture. Je dois dire que ça me met mal à l’aise.

Pierre : Erreur de débutant. Il faut savoir rester discret, et disparaitre pour mieux réapparaitre.. 

Lydie (en scrutant le vieillard) : je parie qu’il sera là à la fête de la choucroute ?

Béa, à Pierre et Lydie  : et vous, vous y allez?

Lydie  : évidemment !

Béa : j’espère qu’il y aura du pâté !

Les serveurs commencent à ranger

Lydie : tiens, ça remballe…

Pierre  : prenez des munitions, on décolle !

Pierre et Lydie quittent le buffet. Béa regarde autour d’elle, fait semblant de s’intéresser aux œuvres alentours.. Elle prend rapidement un gâteau et suit les deux autres.

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