Marie-Jeanne

Grand mamie

Massive

Le poids sur les genoux

Sous les grandes jupes 

Pieds nus dans des chaussures adaptées.


Dans la cuisine étroite

Des oncles et tantes debout, 

entre le poêle et la porte.

Big mamie au centre 

D’une table ronde cirée.

Les masagrans fument leur café. 

On y trempe des biscuits secs qui se

dissolvent trop vite, au fonds.

On parle fort

Pendant que mamie retrouve, dans son monde, des bouts de souvenirs préférés. 

Des noms s’échappent, elle parle souvent de maman, la sienne.

Nous finissons les gâteaux et repartons à une heure étrange, 

Avant le dîner,

Mais bien après le goûter.

La télé est restée allumée.

Les pulls sont tombés.

Toujours je pense, 

alors que la voiture quitte la Fontaine au coeur,

Au lavoir, un peu plus bas,

à la vie d’avant,

aux voisins qui l’avaient invitée, avec les enfants, à regarder la télévision, il y a si longtemps, 

Aux oranges à noël,

Aux repas-confitures.

Mamie a maigri.

Elle rejoint ses souvenirs préférés. 

Avec elle disparaît la petite communauté de frères et sœurs debout dans la cuisine. 

Peu de choses me relient à elle, mais j’ai en partage des yeux noisettes, la nostalgie de l’avant, un certain désintérêt pour la cuisine et le goût du sucré.

Je n’ai jamais bien su cartographier sa vie, elle n’a jamais su la raconter. 

C’est un mélange de guerre mondiale et d’amour maternel, de grossesses et de privations, de ménages chez un châtelain et d’empêchements.

C’est aussi Jules et Jean. 

Dans la chambre où elle attend sa fin, la télé est éteinte. 

Plus de magasines people, de choses à broder, de petits gâteaux. 

Quelques photos, des peluches, une gourmette et un petit meuble, dernier vestige de la fontaine au cœur. 

La grande baie vitrée donne sur un champ que visite un groupe de chevaux, de temps à autre. Le personnel est gentil.

Elle ne parle plus.

Elle ressasse avec les yeux.

Demain elle ne sera plus.

Ou après-demain.

Je recoudrai le bouton de la robe noire achetée il y a quelques mois avec cette arrière-pensée : je la porterai sûrement quand.

Nous les retrouverons.

Les oncles, les tantes

Pas tous, pas toutes.

Nous nous remémorerons la cuisine, le poêle, les heures vagues, le brouhaha, les embrassades dans le couloir glacial.

Je me souviendrai des jours de marché, du poulailler, du jardin où nous n’allions jamais. 

Je n’arriverai pas à mettre de côté l’amertume, la déception, les jours de détresse où nous le lui suffisions pas.

Une fontaine dans le coeur. 

J’ai pris tout ce qu’elle n’a pas pu prendre.

Les études, le choix, l'écriture.

N’ai rien sacrifié. 

Une vie inverse, inversée.


J’ai des mots pour ne pas étouffer quand tout  devient étriqué

Des mots pour tenter de fixer ce qui disparait

Des mots pour m’apaiser quand tu disparais.

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Ressasse