Papier citron
Pierre entre dans la grande salle au plafond haut dans laquelle un jury l’attend. Ils sont quatre : une femme assez âgée avec un cache pot en guise de jupe, trois hommes identiques ou presque, des hommes à grande mèche et la montre en avant.
Pierre présente son objet : un petit rectangle de papier qu’il déchire à l’angle droit, pour en faire sortir un tissu humide plié en quatre et dont se dégage une odeur de citron tue-vie.
Au loin, une mouche s’évanouit. La vieille s’enfonce dans son cache-pot.
Pierre déplie le tissu, se frotte les doigts avec et les respire:
« Le nettoie-doigt recouvre tout ce qui pue, y compris les doigts, parfois, quand ils trempent la ou il ne faut pas. Vous pouvez vous salir les mains. »
Les jurés tapent des pieds et la salle se met à vibrer.
Pierre se réveille a demi. Les coups de sang dans les gencives ont repris. Il tend le bras pour reprendre quelques gouttes de giroflier, citron et menthe poivrée, et replonger dans la zone blanche de la douleur.
Il transpire et le drap colle. Pierre pue, mais ne le sent pas. Tout est citron. Son corps est drapé dans un nettoie-doigt géant que la femme au cache-pot entortille autour de ses doigts puis laisse au bord de l’assiette, à côté des restes de crustacés. Les hommes à mèches s’en lavent les mains.
Sous les hauts plafonds, il s’assèche, se rigidifie avant de rejoindre, au fond de la poubelle, les autres citrons de papier.
Pierre se réveille d’un coup.
Elise a ouvert la fenêtre.
Écrit lors d’un atelier d’ecriture olfactif, animé par Claire Larquemain